29 août 2006

Farewell, JD!


Tortilla Flat était en fête. Les amis avaient réunis grande quantité de gallons de vin. Le plus hardi d'entre eux poussa même la générosité jusqu'à dégarnir son congélateur d'un splendide et massif fromage qui fut sacrifié sous le fourneau selon le rituel compliqué de la raclette. Les coeurs étaient légers et virevoltaient dans les poitrines. Le fils prodigue, l'incommensurable auteur de nos chroniques malgaches sorti de son île lointaine, était en effet de retour parmi les siens pour un séjour que tous voulurent inoubliable. C'est ainsi qu'ils se réunirent en un carnotzet et, entre le bar et la grande table en bois, commencèrent leurs libations...

Ils arrivèrent par grappes, chacun à leur rythme et porteurs d'offrandes diverses dues à leur ingéniosité, talent culinaires divers autant qu'à leur générosité. Très vites, ils furent plus à se presser que les doigts des deux mains réunies ne purent compter, ce qui fut de peu d'importance, car nul n'en eut l'idée. Et puis, aussi, qui aurait l'idée saugrenue de compter sur ses doigts, alors que l'homme bien né compte sur ses amis pour les coups de pouce et autres problèmes majeurs pouvant conduire à la mise à l'index. Si les doigts travaillèrent tout de même d'arrache-pied, ce fut plutôt pour déboucher ces fameux gallons dont le pays n'était pas avare. Le sang de la terre coula ce soir là, et il se trouva de nombreux volontaires pour éponger l'hémorragie, partant du principe que l'avaleur n'attend pas le nombre des années.

Puis l'excitation monta, car enfin il fut là, notre ami JD, ce serrurier des situations festives, lui dont près d'un mois d'un séjour qui l'avait entraîné jusqu'en Bosnie avait déjà bien entamé les réserves. Et oui, il n'avait pas été ménagé, car tous voulaient le voir, l'entendre, le toucher jusqu'à plus soif (et ça, on ne sait jamais jusqu'où ça peut aller...). Aussi l'addition de toutes ces bonnes volontés individuelles commençait à produire sur ses paupières l'effet de la houle sur la mer et quelques larmes salées s'en échappaient parfois.
De toutes les fêtes qui furent projetées pour notre chroniqueur, il en est un autre qui n'en manquât pas une, ce frère qui lui était lié par le sang et l'âme, quand ce n'était pas le foie qui, de six roses, fait de si belles gerbes. Ce frère qui, tout à sa joie, n'en pouvait plus d'offrir à son revenant l'abri de la fraternité réunie. Et, quand par hasard JD quittait ce chaleureux abri, partout et à toute heure, son frère le retrouvait pour l'entraîner plus avant dans ces nuits que l'été raccourci déjà bien tout seul.

On se pressa autour de lui, on lui prit sa veste et on l'installa confortablement à la table du banquet dressé en son honneur alors que le fromage fondait à vue d'oeil sous les effets conjugués de l'impitoyable fournaise et d'un couteau sacrificiel manié d'un geste auguste et régulier par l'officiant de service, qui fut plus tard remplacé afin qu'il put lui aussi circonvenir sa fin de mets et de mots. Puis, le fromage réduit à l'état de scorie fumante, vint le temps des multiples desserts où plus d'un convive avait mis la main à la pâte croustillante.


En ce moment où les gilets se desserrent et les esprits soupirent d'aise, le feu de la conversation fut nourri de plus d'une histoire, qui toutes devaient au vécu de leur conteur et au piment de son imagination. Et nul ne fut avare de sa bûche pour réchauffer une atmosphère qui n'en demandait pas tant, et les plus talentueux trouvèrent leur récompense dans les rires d'un auditoire conquis. Des thèmes abordés, des plus graves aux plus légers, les amis n'eurent de cesse qu'ils en eurent extrait les diverses facettes et implications morales, me manquant pas d'en tirer des leçons qui seraient profitables au plus grand nombre. Et quand l'imagination marquait ses limites, il ne manquait pas de protagonistes afin d'en recréer les éléments essentiels à l'édification de tous. C'est ainsi que se transmet la sagesse du peuple et que se perpétuent les actes de sages, afin que nul malintentionné ne put un jour en nier l'existence. C'est ainsi que deux frères présents dans l'assistance (autres que ceux déjà mentionnés ici), émus aux larmes, apprirent comment leur père sut, un beau soir, sauver la dignité du narrateur pris, à défaut de marteau et d'enclume, entre la lime et l'étau, et veiller sur le sommeil de son benjamin.

Pour mesurer l'avancement de la soirée, je n'ai pas de honte à passer la parole à plus érudit que moi: "Juste au-dessous de l'épaule de la première bouteille, conversation sérieuse et concentrée. Cinq centimètres plus bas, souvenirs doux et mélancoliques. Huit centimètres en dessous, amours anciennes et flatteuses. Deux centimètres de plus, amours anciennes et amères. Fond de la première bouteille, tristesse générale et sans raison. Epaule de la seconde bouteille, sombre abattement, impiété. Deux doigts plus bas, un chant de mort ou de désir. Encore un pouce, toutes les chansons qu'un connaît. La graduation s'arrête là, car les traces s'effacent alors et il n'y a plus de certitude: désormais n'importe quoi peut arriver." (John Steinbeck, Tortilla Flat)


Si, du fait de son entraînement et de sa résistance, l'assistance s'économisa quelques unes des plus pénibles de ces étapes et en fusionna certaines autres (certaines amours anciennes pouvant être à la fois flatteuses et amères), elle ne s'épargna pas le point où tout peut arriver. Et l'on fit donc sauter bombes et bouchon, on se travestit au point qu'une chatte n'y aurait plus reconnu ses petits et la nuit ses adorateurs, dont les plus résistants assistèrent à la dilution dans l'aube naissante. Mais tout ne doit pas être écrit, et il est bon que le voile du mystère habille encore certains délicieux volets de l'incertitude.

Farewell, et 'saire JD!


PS: Vous avez accès à l'album photos complet de la soirée. Pour y entrer, introduisez mon adresse Gmail. Le mot de passe est constitué du prénom de la maman de JD, pour les connaisseurs... Les autres peuvent m'envoyer un mail!

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Quelle brochette, non de dieu!

Anonyme a dit…

En effet, très belle brochette ! La galerie photo vaut le détour. Tous les amis de Tortilla flat ne se reconnaitront cependant pas forcément...
M'enfin, l'essentiel étant qu'ils se rappellent d'y avoir été. Et, pour certains, il faudra en outre qu'ils se rappellent être allé braver le danger en provoquant des motards assoiffés de sang à la concentration de motos à Noës.
D'autres pourront se vanter d'avoir fait du sport sans sommeil pour mieux tromper l'adversaire dans les mouvements arrondis et saccadés...
Mais quoi qu'on en dise, et quoi qu'il se passât durant cette bacchanale infernale, nous te souhaitons, JD, une excellente rentrée chez toi et te disons à très bientôt.

Anonyme a dit…

It seems it has been my fate to sadden those I should have made happy. Farewell, my dearest friend! May heaven send you every blessing! Farewell!