07 août 2006

Chez Dzordgio, bar le Long Play, Doboj

Bar Long Play, Doboj
Tortilla Flat poursuit son exploration du monde, et vous ouvre une lucarne sur un lieu improbable et hors du temps, le bar Long Play, à Doboj (carte), en Bosnie-Herzégovine. Tenu par Dzordgio, musicologue averti et philosophe à ses heures, vous en ressortirez le verre vide et l'esprit rempli de l'âme du lieu, qui doit autant au charme underground de l'endroit qu'à la chaleureuse humanité de ses occupants. Cette arène fut également l'un de ces nombreux points du globe où les frères Melly oeuvrèrent à l'entretien de cette amitié fraternelle si forte et si profonde qui les lie, puisque que JD, notre chroniqueur malgache (cf menu de droite) y résida en famille pour des années qu'il n'oubliera jamais. Jérôme nous raconte...

Pour rejoindre cet endroit, il faut quitter le centre-ville et marcher dix petites minutes en direction du sud. L’endroit est mal indiqué et les alentours sont assez déserts. Les habitants de Doboj préfèrent le « Sportcafé » à l’américaine. Pas tous cependant !

Il vaut mieux y aller avec un gars qui connaît déjà l’endroit car il s’agit là d’un lieu très spécial, tenu par un Serbe. Vous n’y rencontrerez personne ou presque. Je veux dire par là que vous ne ferez pas la connaissance de nouvelles personnes ; la place n’est fréquentée que rarement, et quand elle l’est, elle nous restitue ce je ne sais quoi de familier qui vous indique en effet, que personne ne vous connaît et que, pour autant que vous le sachiez, vous ne connaissez personne à Doboj, Bosnie-Herzégovine. Mais, par la magie du lieu et de ceux qui le fréquentent, vous vous ferez très vite de nouveaux petits compagnons de jeux, qu’ils soient Bosniaques, Serbes ou Suisses.

Mais pénétrons sans plus tarder à l’intérieur. Tout de suite, nous sommes plongés dans un endroit qui n’existe pas. Une sorte de hangar molletonné par quelques lumières tamisées, parcimonieusement et judicieusement disposées sur les murs nous fait une impression de chez soi délicieusement envoûtante.

Long Play dog

Sur la gauche, un minuscule bar derrière lequel trônent, comme des trophées rares, mais dont on est fier, un certain nombre de flacons d’ici et d’ailleurs. Une dizaine de pochettes à vinyles au plafond révèlent les excellents goûts musicaux du patron qui, respect du matériel oblige, ne laisse personne toucher à sa stéréo pourtant plus que désuète.

Au fond, dans ce qu’on pourrait appeler la salle récréative, un billard. Aucune table ! Au « Long Play », on boit debout ou accoudé au bar à la frontière de la première et de la deuxième salle séparée par la seule impression que, un escalier plus haut, autour du tapis vert, il se passe d’autres choses beaucoup plus importantes qu’au « rez ».

Certes, il y a une table, mais dans la troisième salle, celle séparée des autres par un mur auquel on a fait un trou rectangulaire en guise de passage. C’est la salle d’accès aux toilettes, ou à la cascade turque devrais-je dire. Soyez sur vos gardes, l’eau, sitôt la bobinette tirée, jaillit comme un jet de feu hors de la gueule d’un dragon ! Dans cette salle, rien, si ce n’est cette insignifiante table ronde et ses deux chaises de jardin. Au-dessus, une enseigne verte et rouge avec le nom de la bière qui sponsorise le lieu. Sobre, sombre, sibyllin.



Les divertissement ne manquent pas, on y parle allemand, serbo-croate (langue locale pour ne froisser personne) anglais, un peu, et surtout, on y peut attendre, boire, proposer au patron de mettre une chanson que tout le monde a oublié sauf vous, y aller de ses commentaires (mais discrètement) sur le jeu des aficionados de la boule ronde, moyenne, dure et lourde, et enfin, « last but not least », s’essayer à quelques photos ( en annexe) d’art et d’essai dans ce lieu qui ma foi, se prête volontiers aux histoires humaines.

L’atmosphère y est conviviale mais on pressent que la vie n’a pas toujours été facile et ne l’est plus. Dzordgio, le patron, est quelque peu désabusé ; la guerre l’a ramené au pays, et avec lui, ses illusions stuttgartoises, sa soif de conquête et d’occidentalisation.

Mais, loin des vicissitudes de l’Europe, à Doboj en Bosnie-Herzévogine, on sait ce que c’est l’hospitalité, on a mesuré l’importance de la vie à l’aune des décès dans la famille ; la guerre a sacrifié pour vous, sur l’autel de la religion, votre passé, votre présent et peut-être votre futur.

Que vous reste-t-il alors ? Des murs chichement décorés, des disques, des amis et avant tout, un lieu. Que dis-je, un chez soi. Plus que ça, une patrie, celle qu’il n’a pas et qu’il a eu ailleurs, dans d’autres temps !

Et si dans cette petite annexe à l’existence, parfois Dzorgio se sent seul, au moins y retrouve-t-il ce qu’il a créé et qui lui rappelle que lui n’a jamais perdu sa propre dignité.

Et c’est cela qu’on aime chez Dzorgio, au « Long Play ».

Jérôme Melly

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci à votre site que je viens de découvrir pour ces charmantes tranches de vie d'endroits que l'on aurait pas connu autrement!