30 mars 2006

Trilogie fraternelle (1)


Ils sont frères, et pas que de sang. Le petiot, pour les 40 ans de l'aîné, évoque les souvenirs marquants d'une vie, avec le souffle de l'épopée, qui pousse le particulier vers l'universel et l'intemporel. Il fait revivre pour nous un univers drolatique, tendre et par dessus tout attachant, avec une plume trempée dans l'émotion et la sincérité. Ne vous méprenez pas, ce qui suit est une histoire d'Amour, un Amour vrai, un Amour fraternel, qui n'a cure des distances, entre Jer O'Malley et JD de Tana, notre chroniqueur malgache. Pour une tournée des 4 tremplins sur lit de géranium, une visite sur l'île aux fantomes, suivez le guide...

Sierre, Manoir 19, 24 février 2005



Aujourd’hui, ça fait plusieurs jours que mon frère a quarante ans !!!. Je n’en crois pas mes sens.

Quarante ans ! Glups. Il est bien loin le temps des tartines où l’on se levait ensemble pour entamer une journée d’école. Bien loin aussi celui où nous jouions dans la neige avec les cousins à Zinal.

Je me rappelle encore quand maman m’accompagnait chez le dentiste (et oui, elle l’a fait très tard) et que, depuis la salle d’attente on attendait, en proie à une anxiété justifiée avant la fraise désenchantée. Depuis notre purgatoire, nous pouvions te voir, devant la Migros, ton bonnet juif vissé sur la tête, ta moustache naissante souriant à un attroupement féminin aux aguets. Maman semblait stupéfaite, interdite. « Jeannot, regarde-le… ». Je ne me souviens plus de ce qu’elle disait, mais son visage en disait long.

Mais je me souviens t’avoir regardé sans vraiment comprendre, d’un air détaché, trop préoccupé par ce qui allait m’arriver dans les mains du « menteur invétéré ». Pourtant, paradoxalement, ce qui me paraissait être un moment hors du temps (la glace de la fenêtre représentant une porte d’accès sur une dimension que je ne connaissais pas) rejaillit aujourd’hui que je t’écris pour conjurer la sentence de Cronos.

En effet, en fouillant dans mes souvenirs d’enfance et d’adolescence, cette image de mon frère que je ne comprenais pas encore me revient avec une force indicible à la lumière de ce que nous sommes l’un pour l’autre aujourd’hui.

Car des souvenirs il y en a : Dingo et les cacahuètes magiques, les chutes à ski et la jambe cassée, les montées à l’alpage et nos expéditions « chardon » et « trèfle à quatre feuilles », nos matchs de foot et de hockey devant la maison, parmi les débris encore tranchant d’une vitre brisée pendant une inoubliable coupe spengler miniature. Je revois l’hécatombe, le terrain ou la patinoire, c’est selon, jonché de feu feuilles de géraniums ou autres arrangements floraux décapités par notre enthousiasme. Et puis, il y avait les après-midi patinoire à Vissoie, les après-midi ski, les après-midi « tournoi des 4 tremplins ». Nous nous goinfrions de chocolat, biscuits, sugar-puffs, yoghurts en estimant la longueur du saut de chaque concurrent. Je ne sais plus qui gagnait, mais parfois, nous nous disputions sérieusement pour avoir gain de cause, et souvent, me semble-t-il, l’un ou l’autre trichait pour l’emporter sur son coriace adversaire.

Il y avait aussi les après-midi piscine : autour du plongeoir s’aventurait toute une série d’outsiders qui voulaient détrôner le roi de la patate qui se faisait appeler Tsouflette, slipette ou un autre nom plus court en « ette », je ne me souviens plus de son patronyme, mais je vois encore sa tête d’ahuri lorsque, sous les yeux d’un public ébahi, il s’élançait, l’intrépide, décollait et se mettait en boule pour gicler toute l’assistance qui n’en demandait pas tant.

Parlons-en de l’assistance, elle était composée de nos cobourgeois, avec qui ça n’a pas toujours été facile, pour nous qui venions de la ville. Mais il y en avait un (ou plutôt une) dont je me souviens très bien. Elle aussi occupait l’espace plongeoir remarquablement bien, différemment, mais avec infiniment plus de grâce que le roi de l’éclaboussée. Et puis, avouons-le, elle occupait nos esprits un peu plus longtemps que ce foutu « ette » qui nous reléguait au statut de « mauviettes ne sachant pas plonger ni faire des patates ».

Je te passe les interminables parties de cache-cache avec les habitants du quartier des Crettaz, les excursions du « club des cinq », torches à l’appui ; et bien sûr les réunions secrètes, façon franc-maçonnerie, l’insouciance en moins, que nous organisions au lieu-dit « l’île aux fantômes » sans que le temps n’eût d’emprise sur nous, sans que nous sussions à aucun moment que la vie continuerait de nous surprendre, de nous déstabiliser, de nous guider.

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