21 avril 2006

Cocha... bomba!

Cochabamba, ville de l'éternel printemps, ainsi nommée par ses propres habitants. Certes le soleil nous a doré la peau, mais la pluie saisonnière, et rafraîchissante aussi, nous l'a mouillée. C'est au cours d'une de ces soirées pluvieuses que nous allâmes nous réfugier dans un café dont la spécialité est de divertir et d'abreuver ses clients. Ainsi nous joignîmes l'utile à l'agréable.

Nous assistions a un concert de percussions dont le leader est neuchâtelois, un de ceux qui ne supportait plus le brouillard claustrophobisant de son beau lac, lorsqu'on nous proposa de goûter le cocktail national. LE CHUFLAY! Mélange explosif et surprenant qui fait partie de la famille phonétique des FLÓAAATCH! (coucou David), des OUÁÁÁZÁÁÁ´! des VRRRR-PCHHT! C'est dire déjà son pouvoir évocateur alors que tu n'a fais que de le commander!

Cette exclusivité bolivienne rassemble dans un récipient de taille non négligeable, 2 alcools forts et blancs, et, pour ceux qui ne sont pas allergique, une rondelle de citron vert. Bien évidemment ce mélange harmonieux assortissant deux des produits nationaux parmi les plus délicats, a le don de vous enivrer vite et durablement. Sachant a qui je m'adresse en écrivant mes sensations, je sais que certains ne resterons pas insensible a cet argument. MAIS ô grand MAIS! le Chuflay ne se contente pas d'agir uniquement au niveau cérébelleux! Que non! ce puisant désinfectant a une action radicale sur tous les petits habitants de downtown tripaille! En effet, seul le bacillus bolivianus intrepidis et l'enterococcus de Jose Gonzalo Guerrrero résiste aux vapeurs du Chuflay. Ce breuvage national digne de Dédé le marseillais et de Lulu la nantaise te procure donc un accès direct a l'ivresse et t'évite de détruire complètement les W.C...

Ah! ces boliviens, intrépides et résistants, toujours prêt a distraire le voyageur par les moyens parfois si inattendus. Nous avons ici la preuve de leur ingéniosité ainsi que de leur sens du festif! Ce fameux sens du festif que nous avons a nouveau rencontre a La Paz, capitale que je ne saurai décrire tant cela ne ressemble a rien dont je fus témoin jusqu'alors...

A l'heure de l'apéro, suivant notre instinct, nous entrâmes dans un bistrot qui présentait comme unique déco quelques posters d'amazones fort aguichantes et très déshabillées, qui vantent les mérites d'une marque de ciment ou d'une marque de pneu, un de ces bistrot comme il y en a mille dans la capitale. Aussitôt installés, nous commandâmes la bière nationale. La Huari, délicieuse roteuse au houblon si finement distillé que j'en ai la pépie! Amis du houblon je vous salue le chapeau bas! Et je rend hommage a l'inventeur bienfaiteur, de ce divin liquide jaunâtre et mousseux, qu'il soit moine ou pendu!

Alors que nous jouissions de cette fraîcheur houblonnée, firent irruption trois larrons en foire, tous les trois la quarantaine bien sonnée et le sens de l'équilibre bien entamé. L'un d'eux, s'approcha chancelant, et nous distilla toute une série d'excuses a propos d'un macabre double meurtre de ressortissants autrichiens. Il nous postillonnait avec ferveur son regret et son incompréhension face a de tels actes. Et afin de nous prouver sa bonne foi et de faire valoir sa bonne volonté, il nous paya deux Huari, car nous dit-il, la Huari se commande par deux!

C'est ainsi que nous fîmes connaissance des trois compadres. Carlos le musicien, Marcello le vendeur d'artisanat et Alejandro le frais nommé colonel de la police. Le premier et le troisième fêtaient depuis la veille un événement que je ne saurai vous conter faute de mémoire. Par chance, bien que mon espagnol me permette quelques pirouettes, la présence du deuxième, Marcello, en tant que traducteur officieux de la soirée s'avéra indispensable et nous permis d'aborder des sujets aussi vastes que pointus tels que l'anarchique urbanisation de la capitale ou la métallurgie et ses méfaits écologiques dans les provinces périphériques. Des propos qui, aux rythmes des Huari nous emmenèrent au milieu de la nuit. Le moment ou nous décidâmes qu'Alejandro (le colonel) devait rentrer. Ses dernières paroles furent:"bbbrrrffnlll prorrrrHic!", suivies d'un rot chargé d'effluves abyssales dont seul un Chuflay aurait pu éradiquer l'odeur nauséabonde.

Le trio se transforma en duo, mais comme dirait l'autre:"à deux vous irez plus vite!". Titubant mais d'une volonté farouche nous nous enfonçâmes au coeur de la nuit bolivienne. Le rythme de la Cumbia donna le tempo jusqu'au petit matin... Cette Cumbia qui procure a nos sens cet exotisme tout bolivien, qui donne a la Huari cette saveur toute bolivienne et qui font des compadres de sacrés boliviens!!!

15 de abril 2006, Arequipa, Peru.
Tuco.

12 avril 2006

On ne badine pas avec l'amour...

...non, non, ne badinons pas, dirait un certain humoriste... Mais ce dernier étant à Musset ce que le canard WC est à la faune de nos étang, ce n'est pas chez lui que Pascal Gilibert et Jérôme Melly (qui, on le voit, n'exerce pas ses talents littéraires qu'à Tortilla Flat, ce qui serait dommage!) sont allés chercher l'inspiration nécessaire à l'adaptation de cette pièce d'Alfred de Musset. Elle sera interprétée par les élèves de l'Ecole Supérieure de Commerce de Sierre, les 11 et 12 mai 2005 (éventuellement le 13 si vous répondez présent en masse!) à la Sacoche. Si vous voulez réserver dès maintenant, un clic ici c'est si facile!

Exercice d'équilibriste qui m'est proposé ici, puisque je vous parle d'une pièce que je n'ai pas vu et que je ne connais ni Dave ni Adam. Mais comme c'est le cas d'à peu près tout critique qui se respecte, me voilà un peu rasséréné. Et puis bon, on est sur un blogue, on peut se permettre de parler de tout et de rien, du temps qui passe à la pluie qui tombe, du chat qui n'a pas mangé sa pâtée aux horaires de train qui ne s'arrêtent plus mais que font-ils là bas dans les bureaux fédéraux qui nous en veulent personnellement.

Alors raisonnons contemporains. En bon ignare, on sait quand même que Musset, c'est du solide, du bon, du classique qui est enseigné à l'école, et supérieure encore. Ecole de commerce qui plus est, donc ça doit être une bonne marque, qui se vend bien. Qui a du market potential, puisque, dans le buzinêêêsse, il est de bon ton de parler anglais, Il paraît donc assez peu risqué d'en dire du bien, puisque tout les milieux autorisés qui s'autorisent à penser vont appuyer votre opinion, et vous passerez automatiquement pour quelqu'un d'intelligent et de lettré (déjà 14 lettres rien que dans mon nom prénom, à peine croyable non? Et encore, si mes parents m'avaient donné un deuxième prénom, dont on peut mettre la première lettre entre le prénom et le nom sur les formulaires officiels parce que ça donne une touche très classe... Académicien, je serai!).

Ensuite, il y a ce titre, très parlant: "On ne badine pas avec l'amour". Un sujet universel s'il en est, et dont la sagesse saute à nos yeux usés de célibataire attardé (justement parce que l'amour est un sujet avec lequel on ne badine pas, bon sang!). Nous voilà donc sensibilisés au thème central, notre intérêt en éveil et nos antennes dressées. Car ce n'est pas tout! Mais oui, avec un titre pareil, qui apostrophe le lecteur, et bien on se doute vite que justement quelqu'un a dû badiner avec l'amour, un polisson de première, cela va sans dire. Mais heureusement, ça n'a pas échappé à l'oeil scrutateur de M. de Musset, une pointure s'il en est. Et nous voilà ferrés. Car, un badinage raconté par M. de Musset, c'est autre chose que ceux qui sont relatés quotidiennement dans une certaine presse que je me refuse de citer! Un tel badinage, et la morale qui ne manquera pas d'en être tirée ne pourra qu'être profitable à l'édification de nos âmes volages, ou à conforter celles qui se conforment en tout temps à ce respectueux précepte. De plus, c'est un thème inoxydable et indémodable, et donc propice à être enseigné aux futurs acteurs du commerce global, car ce genre de produit est un modèle de rentabilité! Pensez donc, élaboré au siècle passé, il se conserve sans une ride et sans coûts de production supplémentaire et est encore vendeur de nos jours. On ne saurait ici trop saluer la sagacité du corps professoral de cette divine école!

Et puis, bien sûr, si toutes ces bonnes raisons ne suffisaient pas, il y a les noms des metteurs en scène, que nous connaissons tous (et si ça n'est pas le cas, faites-moi confiance), et dont l'un nous fait profiter régulièrement de sa verve et de son éloquence intarisable (pour des exemples, cliquez ça et par ce que ça est bon...). Quant à l'autre, tiens, l'invitation est lancée, ça me fera du repos. Je vais devenir l'inventeur du blogue qui s'écrit tout seul, c'est digne de Pilon tiens! Donc, mon ami Pascal, ce terrain est le tiens si tu désires nous faire profiter de ta vis comica (gardons l'angliche pour le buzinêêêsse et le latin pour la culture...). Ces joyeux compères ont le verbe haut et la plume agile, et je me réjouis déjà des les voir porter le verbe d'Alfred sur la scène culturelle sierroise en utilisant l'enthousiasme juvénile d'une relève estudiantine qu'ils forgent au quotidien à la flamme de la littérature et des sciences mathématiques. (et si vous ne voyez pas le lien entre les deux, c'est que vous n'avez pas lu "Le théorème du perroquet de Denis Guedj, ignares va!). Tiens, c'est vite vu, si ces deux là mettaient en scène, je sais pas moi, l'intégrale du code civil birman en version originale, et bien j'irai!

Si mes élucubrations divagatoires, issues d'une éducation qui doit essentiellement à la lecture d'Astérix et Obélix (en tout cas pour le latin), je vous invite à consulter un petit résumé de la pièce rédigé par plus informé que moi (je place pas la barre trop haut), histoire que vous n'ayez pas tout à fait perdu votre temps jusqu'ici, si vous y êtes arrivés... Moi même, je m'en vais d'ailleurs le consulter de ce pas, m'étant interdit de le faire avant, préférant me vautrer dans une ignorance qui n'appartient qu'à moi plutôt que m'approprier l'intelligence d'autrui. Non que j'en concevrai du remord, n'allez pas croire que j'ai cet altruisme! Mes raisons sont bien plus viles: c'est qu'ensuite il faudrait confirmer, on vous demanderait votre opinion sur tout, Bush, la famine, le pétrole en extrême orient, la date de la cueillette des spaghettis en Sicile et que sais-je encore! Au lieu de ça, je préfère me vautrer dans une réconfortante et reposante ignorance crasse, reproductible à volonté, telle une prose bourgeoise gentilhommesque! Tel Big Joe, je m'y trouvais bien, j'y goûtais même...

Mais si vous deviez de tout ceci ne retenir qu'une chose, souvenez-vous, ne badinez jamais, mais alors là jamais, au grand jamais, avec l'amour! Sinon... (pour savoir la suite, allez voir la pièce, les 11 et 12 mai, voire le 13, à la Sacoche! Ah, ah, suspense insoutenable, à l'américaine, comme on dit chez nous, parce que pour le buzinêêêsse y'a pas à chipoter, y sont forts, les amerloques!)

Pour récompenser les plus assidus, un petit extrait offert en prime:


(...)Insensés que nous sommes! nous nous aimons. Quel songe avons-nous fait, Camille ? Quelles vaines paroles, quelles misérables folies ont passé comme un vent funeste entre nous deux ? Lequel de nous a voulu tromper l'autre ? Hélas! cette vie est elle-même un si pénible rêve: pourquoi encore y mêler les nôtres ? O mon Dieu! le bonheur est une perle si rare dans cet océan d'ici-bas! Tu nous l'avais donné, pêcheur céleste, tu l'avais tiré pour nous des profondeurs de l'abîme, cet inestimable joyau; et nous, comme des enfants gâtés que nous sommes, nous en avons fait un jouet. Le vert sentier qui nous amenait l'un vers l'autre avait une pente si douce, il était entouré de buissons si fleuris, il se perdait dans un si tranquille horizon! Il a bien fallu que la vanité, le bavardage et la colère vinssent jeter leurs rochers informes sur cette route céleste, qui nous aurait conduits à toi dans un baiser! Il a bien fallu que nous nous fissions du mal, car nous sommes des hommes. O insensés! nous nous aimons.(...)

07 avril 2006

Sensationnel altiplano!

Par delà les montagnes, par delà les plaines, par delà les champs et les cours d'eau, ils s'en vont, infatigables et imperturbables. Tel le nain d'Amélie Poulain, ils visitent le monde et envoient à ceux qu'ils laissent derrière eux des images parlantes et des textes imagés. C'est ainsi que, la frontière bolivienne passée, Touquette et Tuco traversent l'Altiplano pour aller se confronter au Salar de la sueur.

(cliquez sur les photos pour les agrandir!)

Ni dans le désert, ni dans la montagne, peut-être dans un désert de montagnes, nous voici au sud est de la Bolivie, sillonnant dans un 4x4 robuste les pistes méandreuses de l'altiplano. Dans ce décor improbable, la ligne d'horizon se voit découpée par des cimes enneigées et troublées par la réverbération du soleil implacable de ces hauts plateaux; terre aride et rougeoyante qui laisse derrière nous un nuage de poussière au vent frais d'altitude.


Nous entrons dans un village et apercevons quelques silhouettes fuyantes de ces habitants d'un autre monde. Je crois même avoir vu le Petit Prince qui jouait au ballon... Quatre jours à admirer ce décor extraordinaire, et pour conclure nous arrivâmes dans la blancheur aveuglante du salar d'Uyuni. Lorsqu'on en ressort, il est nécessaire de s'arrêter, et de repenser a toutes ces images invraisemblables afin de les fixer dans la réalité, comme lorsqu'on ne veut pas que s'estompe un rêve a la lumière du jour. Il faut même se toucher pour s'assurer qu'on est toujours fait de chair et... Naannn là j'deconne!!!

Quelques heures de bus, digne du supercross de Genève, plus loin et nous nous reposons a Sucre "la jolie". Sucre et ses beaux parcs bien tranquilles mais Sucre et son marché bouillonnant et débordant de tout. Spectacle sensoriel épatant, spectacle tous les jours présent et tous les jours différent.

Dimanche c'est le carnaval a Tarabuco. Tous les gars affluent dans ce village qui se transforme pour l'occasion en marché géant et ou défile un cortège de petite fanfare, de danseuses et danseurs habilles de milles couleurs. Ces campesinos commémorent en fait, nous l'apprendrons par la presse le lendemain, les 190 ans de la déroute des troupes espagnoles dans cette région! Joli clin d'oeil a l'histoire et quel carnaval!!!




Un abrazo para todos y todavia siguamos viajando por la Bolivia!
Touquette y Tuco.



05 avril 2006

Trilogie fraternelle (3)

Suite et fin de notre trilogie, où comment une bière froide devint source de justifications morales autoproclamées et comment Julio se forgea une aura de chantre de la concision imprécatoire, sans parler de la révélation de la partie charnue d'un amateur brésilien de foot... entre autre choses! Si vous désirez une leçon de rattrapage avant d'aborder ce dernier volet, cliquez sur épisode 1 ou épisode 2, c'est selon!


Hervé. Je crois que c’est grâce à sa mort que nous avons compris toi et moi que Dieu n’existait pas. Je crois que c’est grâce à lui que nous avons compris la chance que nous avions de vivre et de ne pas céder à la tentation du n’importe quoi. Hervé nous a montré le chemin, il a balisé nos sentiers avec de la quinine, du souffre ou encore de l’encre de chine, celle qui servait à faire les biographies des célébrités dans l’Antiquité. La plus simple expression de notre ami suffit à me rendre nostalgique, pas triste, non ! Mélancolique peut-être… mais conscient, affreusement conscient, indubitablement conscient, irréversiblement conscient.

Je passe sous silence les « combinazione » dont tu t’étais fait l’auteur et que j’ai apprises entre ma seizième et ma vingt-deuxième année ; ce serait trop dur pour toi de les entendre, je te les épargne. Pourtant, il me tient à cœur d’en raconter une qui me revient très bien à l’esprit et pour cause : ce devait être en 1989, je travaillais d’arrache-pied pour honorer notre futur héritage commercial, avachi sur le bureau de droite, tapant une énième facture, risquant de piquer du nez à chaque instant quand tout à coup, le téléphone sonna :
« Allô, dit notre mère d’une voix qui laissait transparaître la crédulité. Ah, c’est toi. Comment, tu ne te sens pas bien, tu as mal au ventre ? Tu auras certainement bu quelque chose de trop froid. Va te coucher, dès que je remonte du magasin, je m’occupe de toi ». Et dire que moi je luttais depuis des heures pour que la journée passe plus vite que la nuit arrosée que nous avions passée ensemble. Enfin, au moins n’était-ce qu’un demi-mensonge, peut-être y avait-il, parmi les innombrables bières que nous avions ingurgitées, une qui était trop froide. Je constatais donc, lentement mais très certainement, que toi aussi de temps à autre tu sortais des sentiers battus et que tu dérapais quelque peu sur les chemins de la vie nocturne ; ce qui n’a pas été sans nous rapprocher !

Puis, nous entrâmes dans une toute nouvelle ère qui nous amena à Muraz, dans une cave aux mythiques stalactites et aux innombrables troglodytes qui y séjournaient, parfois pour une nuit seulement. Voilà Julio qui sort de ma mémoire comme un diable de sa boîte. Julio, ce personnage de chez smalto. Nul autre que lui n’avait un tel chic pour expliquer les choses de manière concise et caricaturale. Lorsque Julio parlait, l’assistance retenait son souffle pour ne pas pouffer avant la fin des ses imprécations. C’est aussi dans cette cave qu’un brésilien d’Amsterdam nous dévoila ses attributs virils, offusqué qu’il était par l’enjeu importantissime du mundial ‘94 aux Etats-Unis et par la pauvreté du commentaire de ce pitoyable Pierre Tripod.

Tu avais donc 29 ans, pas encore la trentaine. Cela faisait quelque cinq ans que nous entretenions une relation fraternelle et amicale. Je n’étais plus le petit frère chiant et toujours derrières tes basks, tu n’étais plus le grand frère qui devait se cacher du petit pour ne pas lui montrer le mauvais exemple. Tu ne pouvais pas savoir que j’allais me débrouiller aussi bien sans toi dans ce registre. Quoi qu’il en soit, nous avons commencé à partager nos soirées, nos amis, nos instants d’euphorie et parfois même nos instants de doute et de tristesse.

Parmi ces moments, je retiendrais tout spécialement l’expérience de la « Confrérie du 13 octobre » qui nous emmena successivement aux Cornouailles, en Auvergne, à Rome, et à Bruxelles. Indépendamment de ce qui s’est passé après, je peux dire, et je t’associe à mes propos, que nous passâmes des instants tour à tour loufoques, cocasses, passionnés et franchement décalés.

Mais surtout, ce qui pour nous fut un tournant dans notre amour, fut ma décision de faire mes études d’abord à la Tchaux puis à Neuch. Nous nous sommes rapprochés avec Christelle également, et, loin des turpitudes de la pression familiale, nous pûmes nous comprendre à la façon dont deux aimants s’attirent lorsqu’il n’y a pas d’autres molécules perturbatrices à l’intérieur de la sphère définie par les électrons libres. Nous commençâmes alors à partager nos avis sur la BD, sur la littérature, nous écoutions les mêmes disques, et nous nous influencions mutuellement dans notre nouvelle recherche esthétique. Nous étions des adultes, et nous avons planté, en ce temps-là, la graine magique de la compréhension, du respect et de la tendresse sur le terreau de la fraternité éternelle.

Ce n’est pas sans émotion que j’évoque le passé. Ce n’est pas un hasard non plus si, en voulant juste écrire une petite dédicace sur le livre de Mesa Selimovic, je n’ai plus contrôlé mes doigts qui glissaient sur le clavier comme ceux de Chopin sur son piano lorsqu’il était grisé par la composition de ses plus belles pièces. En un instant qui me parut une éternité, une vie, ta vie, notre vie, j’ai vogué sur notre passé à la manière d’un ronronnement, sur celui qui, envahit par la douce torpeur de l’endormissement, se laisse bercer par Morphée et ses images oniriques.

Et j’écris encore. Parfois, galvanisé par mon élan, je confonds les époques, je mélange les styles et les tons, mais je me rends compte que c’est bien de cela dont il s’agit : du panachage des émotions. Car la vérité est dans l’émotion, elle est dans le sentiment et il n’y a que l’art qui puisse se rapprocher tant soit peu du ressenti, de l’âme, de la vérité enfin. Elle n’est pas dans l’extrême, ni entre, elle est dans la limite. C’est cette frontière (« halt hier Grenze ») entre la réalité et la fiction, entre ce qui fait notre vie matérielle et celle qui forge notre spiritualité, entre la vie rêvée des anges et le rêve angélique d’une vie meilleure que se situerait la panacée.

Car je ne me fais pas d’illusions, la panacée n’existe pas. Dans un monde infini et infiniment complexe, la notion de frontière est assez floue. Et s’il n’existe pas de réponses à toutes nos questions, que cela ne nous empêche pas de nous les poser, car se les poser, c’est déjà un peu y répondre !

Je vais conclure mon frère, mon ami, mon aimé. Après-demain nous serons le samedi 26 février, nous nous retrouverons, toi, moi et nos amis, tous nos amis. Je sais que parfois les petits comités sont les meilleurs et que les petites soirées intimes et les moins organisées sont les plus réconfortantes, mais j’ai pensé qu’une petite réunion bien valaisanne avec beaucoup de monde contrasterait judicieusement avec ton vécu malgache.

Alors, laisse-toi aller, ne te préoccupe de rien et flatte ton ego en contemplant tous ces gens autour de toi qui t’aiment et qui pourtant ne te comprennent ni ne t’écoutent réellement.

Et puis, peu importe le monde, tu sais qu’il y aura toujours quelqu’un qui, sans même te regarder, accompagnera le moindre de tes gestes, suivra du regard la destination finale de ton sourire et comprendra la finalité de ton verbe. Ce sera ton petit frère.

Sierre, 24 février 2005


01 avril 2006

Trilogie fraternelle (2)

La suite de notre trilogie fraternelle, ou comment un groupe de rock prometteur ne sortit pas du garage et de l'influence du sport sur le sentiment d'identité cantonale ainsi que sur l'équilibre de ses pratiquants... Si vous avez manqué l'épisode 1, c'est juste en dessous, ou alors c'est ici!

(...) Et puis, l’aurore boréale de tes 20 ans arriva, dans la plus simple expression d’un p’tit gars sympa, avec une bonne tête, et, je crois, qui n’en demandait pas plus ! Tu écoutais les Floyd… Parfois, tu me faisais découvrir un groupe dont personne n’avait jamais entendu parler sauf le mélomane Franco (qui « apprentissait » dans un magasin de musique) et qui connaissait, qui dégustait pardon, la « panacée mélomaniaque psychédélique » au quotidien ! Alors, je m’exécutais ; j’écoutais religieusement les vynils que tu me prêtais, et je disposais tout aussi méticuleusement ceux que tu me donnais dans la mesure où le borborygme de la mélodie n’impressionnait pas ton acuité auditive, il faut le dire, extrêmement développée depuis que tu chantais dans ce groupe promu à un avenir prometteur mais dont la carrière fut stoppée net par le manque d’ambition des ses membres. «Cœur de pierre » je crois. Tout un programme ! Je revois le poster de Bob Marley placardé sur le mur de ce si attrayant local de répétition et je vois encore papa faire de la prévention systématique contre les dangers d’incendie. Avec le recul, je me dis que compte tenu des cheminées à l’œuvre dans ce local, si Fatima peut se targuer d’avoir aperçu la Vierge, vous, vous pouvez vous vanter du fait que Dieu est intervenu personnellement pour épargner à papa des soucis administrativo-financiers avec les assurances.

Puisque nous sommes dans le registre de la musique, il me semble, maintenant que j’en parle, avoir vu et entendu, comme le bon petit frère que j’étais, de la musique d’un registre que je ne retrouverais pas de sitôt ! Du bon comme du mauvais. La plus grande daube à l’applaudimètre fut sans conteste un guitariste (probablement manchot) qui se faisait nommer dans les milieux autorisés « Snowy White ». Ca ne s’invente pas ! Mais tu ne t’en souviens probablement plus car tu n’as pas dû l’écouter souvent. Entre autres soupes abyssales, figurait aussi une galette de « East 17 » que Markus t’avait offert en reconnaissance de tout ce que tu avais fait pour lui à Heidelberg. Quelle reconnaissance, et surtout comme il te connaissait bien !!! Tu as dû en passer des heures à discuter musique avec lui… Mais je dois confesser que sur ce coup-là tu avais fait preuve de philanthropie. Il n’était pas question que tu me laisses pervertir mes goûts musicaux en pleine épanouissance en écoutant des (ma citation est interprétative) « pingouins sardanapalesques et à roulettes s’il vous plaît ».

Ah, Heidelberg, Mannheim, l’allemand, la tellement jolie Jacqueline que je revois encore avec ses binocles d’astronome, ronds et sexys… Cela aussi je m’en rappelle, un peu avec la même vision que devait avoir la pauvrette, comme si j’avais été derrière un hublot contemplant ta vie qui passait et qui, j’en faisais la remarque à moi-même, ne semblait pas te concerner. Lorsque tu es parti pour l’Allemagne pendant un mois (un mois par tous les diables !) j’ai cru que je t’avais perdu pour toujours… Oh non, je n’ai pas pleuré –j’étais un dur, un hockeyeur- mais combien de fois me suis-je retrouvé dans mon lit, à 13 heures, papa couché sur le divan du salon, maman faisant la vaisselle et moi, allongé comme un macchabée, morose et orphelin de celui qui était mon frère et, déjà, mon ami. C’est toi en effet que je venais taquiner pendant que tu lisais peinard sur ton lit. Et, à bien y repenser maintenant, je trouve que tu fus très magnanime envers moi dans cette circonstance comme dans bien d’autres d’ailleurs.

Je n’oserais continuer ce petit aperçu biographique sans faire référence au sport, cette activité qui empêche les jeunes de traîner dans la rue, de boire des verres et de fumer de la drogue. Cette sainte institution recommandée par tous les parents en prévention de tous les maux. Toi, pour ne pas tomber dans les bras si attrayants de la débauche (c’est fou chez les hommes ce besoin de se rapprocher de l’abîme), tu avais choisi le handball. Il faut dire qu’un philanthrope répondant à l’onomatopée «Tutu » était l’exemple même du sportif qui avait réussi à éloigné toutes les tentations du monde interlope, contribuant ainsi à rendre le handball très populaire chez la jeunesse sierroise. Allez savoir pourquoi ? Aussi, pour justifier la mélopée sportive des plaignants de la vie que vous fûtes, fallait-il parfois avaler (que dis-je, engouffrer, voire tsiffler) quelques kilomètres pour s’en aller faire un peu de gymnastique rythmée au tambourin des artifices zygomatiques. J’ai spécialement en tête ce fameux tournoi qui devait se dérouler sur tout un week-end… à Lausanne je crois où dans un secteur voisin de la mégalopole vaudoise ! Nous nous en fûmes revenus comme si nous avions gagné la coupe Stanley, comme des mercenaires du far west qui avaient débarrassé de leurs tyrans les pauvres paisanos locaux. Il y avait Cuennet, Caloz, le jekr, Laurent, toi, moi et Hervé. Nous étions 7 cela va de soi. Ce jour-là, en franchissant les portes du car qui nous ramena sur nos terres natales, nous étions tous morts, il n’y en avait pas deux qui marchassent droit devant lui.